Actions et plaidoyers pour les communs dans le contexte municipal

Remix et La Myne se sont associés pour produire un Cahier de propositions de politiques pour les communs en contexte municipal. Pourquoi cette démarche ? Parce que le changement ne dépend pas seulement de la dissémination d’expériences singulières. Le mouvement des communs est un agencement de forces qui agissent, comme levier de changement culturel, renouvelant les questions de solidarité et leur place dans l’agenda politique. Pour rejoindre les communs, agissons en commoner !

Saisir le mouvement des communs à partir de ses pratiques

Au cours des dernières décennies, de nouvelles pratiques d’agir en commun (commoning) ont renouvelé la forme des mouvements sociaux. Les luttes contre le néolibéralisme se sont déployées dans une perspective urbaine qui ne peut être réduite à la simple occupation de places publiques. Des formes nouvelles d’appropriation et de socialisation des ressources urbaines ont été expérimentées. Les initiatives sont nombreuses et variées : espaces mutualisés, usines régénérés, tiers lieux, centres sociaux italiens et lieux occupés, comités et assemblées de quartier, plateformes numériques alternatives, expériences de syndicalisme social et autonome, de mutualisme et de coopérativisme, etc. Elles se déploient largement à travers le monde.

L’horizon urbain qui se dessine aujourd’hui est le résultat de ces expériences singulières, mais aussi de la possibilité de les reproduire dans l’espace et le temps. Pour organiser l’espace urbain, les commoners rejettent les techniques et les formes juridiques qui sont au service du néolibéralisme, pour leur substituer des alternatives qui s’opposent aux logiques propriétaire-rentière et à la financiarisation de la ville, deux formes complémentaires d’accaparement et d’extractivisme* dans la ville.

Le mouvement des communs doit être saisi à partir de ces pratiques. L’une des caractéristiques de ce mouvement est d’être à la fois créatif et résistant. Il est créatif dans la mesure où ces pratiques sont le trait de la dynamique endogène d’une économie pratique fondée sur la circulation de la connaissance et la force d’invention d’un savoir vivant et d’une intelligence collective. Le fameux Iceberg de Graham-Gibson(image) est une représentation magistrale de cette inventivité économique à même de parler à tous. Ce mouvement est résistant, car les communs représentent une forme de lutte contre les nouvelles enclosures du savoir, du vivant et des institutions de la protection sociale, qui ont trouvé dans l’espace urbain leur lieu de prédilection. Chacun et chacune aura à l’esprit les véritables batailles rangées qui ont opposé aux zadistes les préfets successifs à travers, non seulement leurs forces armées, mais aussi l’autoritarisme technobureaucratique des fameux dossiers de projet d’installation strictement individuel qui visait à faire obstruction à toute action collective autonome à Notre Dame des Landes.

En associant la créativité, l’inventivité à la résistance, le mouvement des communs réaffirme que la ville est un enjeu central du rapport entre savoir et pouvoir qu’il ne saurait abandonner sans perdre son âme. Pour les commoners, comme l’affirme Francesco Brancaccio*, “l’urbain n’est pas le « site » ou le « lieu » dans lequel ces pratiques se déploient. C’est le véritable enjeu stratégique de leur action.” « Décidons la ville » ou « La ville est à nous » ne sont pas sans rappeler le « Prendiamoci la città! » (« Prenons la ville ! ») de Lotta Continua, l’organisation italienne active dans les quartiers populaires au début des années 70, et renseignent sur la filiation de ces luttes urbaines qui se jouent de la frontière entre social et politique. Cette dichotomie des communs, génératifs et protecteurs, est une des richesses du mouvement des communs. L’association des différents modes d’action : “luttes pour” versus “luttes contre” devrait être assumé comme une tactique du mouvement des commoners afin de contrarier les démarches qui cherchent à diviser le mouvement social en classes selon qu’elles acceptent plus ou moins les compromis avec l’État et le capitalisme financiarisé.

Des pratiques aux outils

Dans ce contexte, rendre visibles et intelligibles la variété des outils et des formes de plaidoyers des commoners, comme nous le faisons dans ce Cahier de propositions politiques pour les communs dans le contexte municipal permet de comprendre et potentiellement d’articuler des positionnements idéologiques parfois très différents.

Les outils et les mécanismes décrits ici illustrent certaines de ces tendances. La perspective déployée par l’Appel à commun, dont l’objectif affiché est clairement de nourrir des formes de production des infrastructures basées coopération et les communs, a le mérite de rechercher une forme de sobriété par l’économie des ressources, et d’entrée dans la culture de la coopération. D’autres mécanismes eux, visent eux explicitement la sortie de la spirale de la spéculation et de la financiarisation afin de redonner sens à la démocratie et à la solidarité. C’est le cas par exemple du Community Land Trust dans le domaine foncier ou Propriété d’usage dans celui de l’habitat qui travaillent sur la séparation de la titularité des droits de propriété et de l’usage. Par delà les différences entre ces perspectives idéologiques, qui ne sont pas sans rappeler la controverse entre “open” et “libre”, bien connue dans le champ numérique, l’efficience du mouvement des communs dépend de la capacité des commoners à ouvrir la perspective d’alliances pour les communs urbains.

Les défis du mouvement des communs

Le mouvement des communs s’adresse aux différents acteurs de l’action publique – la puissance publique, les acteurs économiques et la société civile organisée – avec lesquels il cherche à faire des arrangements institutionnels sous la forme de politiques pour les communs et de mécanismes de co-gouvernance des communs, comme on vient de le souligner.

Cette perspective générale fait face à deux difficultés. La première est certainement la prétention de l’État à exercer une hégémonie sur l’action publique reléguant les communs (et la société civile en générale) dans un rôle d’opérateur réalisant sa politique, dans un mécanisme de marchandisation, ou ce qu’il ne peut ou ne veut plus prendre en charge. La puissance publique est passée maître dans l’appropriation du discours alternatif des communs pour justifier de ses politiques lorsqu’elles s’attaquent de manière frontales aux communs. En France, après le champ numérique, les tiers lieux sont en passe de devenir (si cela n’est pas déjà le cas) le levier d’une transformation des mécanismes d’innovation sociale jusque là portés par un univers libre et divers, composé d’associations, d’acteurs d’économie sociale, de la recherche et de la création, et dont le projet d’éducation populaire a été certainement l’un des vecteurs essentiel au cours des trois siècles passés. Ce processus devrait logiquement s’achever avec la transformation néolibérale de la culture des agents publics qui réduit les communs à un simple procédé de gestion plus ou moins collaboratif entre parties prenantes aux rapports de pouvoirs asymétriques qui s’appuie sur l’image d’Épinal du malheureux triptyque “ressource, règle, communauté”. Les commoners sont et seront de plus plus en plus soumis à l’impératif de devoir affirmer la singularité de leur position et développer la complexité de leur pratique. Le moyen de constituer cette expression est précisément le mouvement des communs.

La deuxième difficulté tient à la reconnaissance de la place de la perspective des communs au sein du mouvement social en général. Jusqu’à présent, tout au long les dernières décennies, les communs se sont présentés comme une notion, un concept, voir un paradigme. Celui-ci a pu être saisit par les mouvements sociaux. Dans la perspective urbaine, le mouvement pour le droit à la ville, l’ESS, l’écologie urbaine, mais aussi le féminisme se sont emparé des communs et en ont fait un pilier de leur cadre de pensée et d’action. Il faut pourtant rendre visibles les apports et les propositions politiques des commoners à partir de la perspective propres des communs. On retrouve cet enjeu dans la présentation des quelques thèmes traités ici. L’habitat alternatif est un mouvement qui, comme le montre la fiche thématique, contribue à faire revisiter et régénérer les perspectives du mouvement pour le droit à la ville. L’économie P2P, dont nous ne traitons pas directement dans ce dossier, participe à un renouvellement de l’ESS et tente même de construire une véritable alliance politique. L’attention apportée au soin de soi et des autres (et à l’environnement) dans les communs urbains, participe d’une pensée féministe et rejoint la génération d’infrastructures féministes libératrices autonomes. Il faut cependant aussi que les communs s’affirment comme mouvement social, avec un corpus de propositions politiques et l’ingénierie qui permet de les mettre en oeuvre. Dans le contexte municipal, le Partenariat Public Commun ou encore la Déclaration d’Usage Civique ou le Bassin versant solidaire sont de parfaites illustrations de ce à quoi doivent ressembler les infrastructures qui permettent de dessiner un avenir au-delà du patriarcat, du capitalisme financiarisé et du colonialisme enracinés dans notre vie quotidienne.

Conditions d’un passage à l’échelle

Ces propositions ont une vertu générative : dans le champs de l’économie (le PPC) de la juridicité (Usage Civique) et de la démocratie (Bassin versant solidaire). Leur agencement permet d’interroger le dilemme entre alternative limitée ou transformation profonde de la société.

Les politiques des communs ne peuvent être seulement instrumentales. Elles doivent permettre l’émergence de circuits de solidarité économique entre les communs et de mécanismes de passage à l’échelle fondés sur une approche distribuée polycentrique et sur la production et la circulation de la connaissance. De telles conditions permettent de mobiliser les communs pour repenser certains volets de la protection sociale sus la forme de services publics en communs.

Certains outils permettent de penser et d’expérimenter des systèmes d’initiatives qui peuvent avoir un effet systématique. Le PPC est pensé pour générer une économie propre aux communs. La propriété d’usage, propose un mécanisme juridico-économique qui garantie entre-aide et conservation de la ressource. Dans les deux cas, le développement des communs est basé sur une économie polycentrique. Les mécanismes juridiques et démocratiques proposent quand à eux des processus d’amplification et d’extension des pratiques qui vont de l’attribution du droit de gérer des ressources, à celui de gouverner des communs tendant vers des formes d’autonomie.

Notes :

Lotta Continua : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lotta_continua

Changer la ville Par Brancaccio, Francesco https://doi.org/10.4000/variations.1170 https://journals.openedition.org/variations/1170

(Leilani Farha, rapporteuse spéciale de l’ONU sur le logement convenable)