Barcelone à la croisée des communs

Cet article est la version longue d’une présentation faite à la rencontre « L’Alternative du Commun » de Cerisy début septembre 2017 sous le titre de « Glanage et grappillage en térritoires de commun(s) ». Il avait été écrit avant les attentats de Barcelone et Cambrils du mois d’août et bien sûr avant la répression politico-policière du gouvernement espagnol pour interdire le droit à décider des catalans lors du référendum du 1 er octobre. Nous résumons dans l’épilogue les prises de positions et les activités réalisées par la mairie de Barcelone et Barcelona en Comù pendant cette période.

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Depuis que les statistiques de la météorologie existent il n’avait jamais fait aussi chaud à Barcelone un mois de juin  :14 jours consécutifs à plus de 35˚ C. Les changements climatiques bien sûr. Mais on ne peut s’empêcher de penser que l’arrivée massive de milliers de commoners et apprentis commoners de tous horizons dans un climat politique lui aussi surchauffé, y est pour quelque chose. En cette fin de printemps se sont succédées une série de réunions, séminaires et rencontres locales et internationales qui ont confirmé, comme on pouvait le prévoir depuis l’entrée de Barcelona en Comù à la mairie en 2015, que Barcelone est devenue la ville référence des communs, le laboratoire du nouveau municipalisme et la promotrice d’un nouveau cosmopolitisme.

Il est bon de dresser le décor.

Côté cour:

  • Un climat pré-référendaire qui, parce que le référendum est « illégal », met les relations Catalogne /Espagne sous tension et, parce qu’il est jugé par certains trop précipité, exacerbe chez les Catalans les divisions entre indépendantistes purs et durs, les simples souverainistes et les « espagnolistes ».

  • Barcelona en Comù vient de célébrer fin mai ses deux ans à la tête de la mairie de Barcelone., un bilan reconnu globalement positif pour un gouvernement municipal qui a toujours été minoritaire et qui a du composer avec les arcanes de l’institution. Les critiques ne manquent pas : critiques souvent constructives de la part des mouvements sociaux qui reprochent avant tout la lenteur de la mise en place des mesures annoncées; et critiques plus idéologiques que sur le bilan lui-même, de la part de l’opposition nationaliste de droite comme de gauche qui reproche à Barcelona en Comù de ne pas adhérer inconditionnellement à l’idée d’indépendance et fait obstacle à ses initiatives politiques. En tout cas, on ne peut reprocher à Barcelone son manque de transparence puisque la ville a été reconnue la plus transparente d’Espagne par des organismes indépendants.

  • Catalunya en Comù, qui se veut un nouvel « espace politique » catalan lancé fin avril par Barcelone en Comù sur la scène de la communauté autonome de Catalogne, vient justement de confirmer sa position sur le « droit à décider » mais contre le référendum unilatéral.

Côté jardin :

Les revendications des mouvements sociaux et organisations spontanées qui, en répétant chaque mois leurs manifestations de rue spectaculaires, donnent le ton d’une mobilisation citoyenne qui interpelle les institutions dans une dynamique que certains qualifient de « conflit et complicité ».

On ne s’étonnera pas que ces manifestations portent avant tout sur les questions du logement et du transport contre l’économie collaborative d’entreprise ou « capitalisme de plateforme »(UBER, Cabify, Airbnb et les promoteurs immobiliers spéculateurs locaux).

Début juin, des marches venant de différents quartiers ont convergé vers le centre de Barcelone où plus de 3 000 personnes se sont massées devant des immeubles où les locataires étaient menacés d’expulsion. Organisée par « Barcelone n’est pas à vendre » une coalition qui regroupe une trentaine d’organisations citoyennes et syndicales dont la bien connue PAH, la Fédération des voisins et voisines des quartiers, la Fédération des assemblées pour un tourisme durable, le tout nouveau Syndicat des locataires et la CGT une des centrales syndicales historiques de Catalogne. Fin juin, les chauffeurs de taxi paralysent la ville entière pendant 12 heures en bloquant même l’accès et les départs de transports en commun vers l’aéroport. À noter que ce genre de grèves des taxis sont coordonnées entre les grandes villes Madrid et Barcelona.

C’est donc dans ce « climat » que convergent par centaines dans les différentes rencontres de ce mois de juin des élus des villes invitées, des théoriciens des communs et autres commoners et apprentis commoners :

En laissant le lecteur se référer aux différentes recensions et bilans de chacune de ces rencontres, je m’attacherai plus aux réflexions et propositions transversales glanées dans les unes et les autres. Elles reflètent, selon moi, l’état des lieux du mouvement des communs avec ses avancées et questionnements tant au plan théorique que dans ses applications sur le terrain.

J’ai relevé 11 réflexions/propositions qui semblent faire consensus pour présider à la construction d’une société des communs. Les quatre premières sont de l’ordre du diagnostic et de la vision qui semblent être partagés par les commoners. Je développe un peu plus les propositions suivantes de mises en pratique en prenant l’exemple de Barcelone.

1- Face au néolibéralisme triomphant, l’imaginaire politique de la gauche traditionnelle n’a rien à proposer si ce n’est un retour à l’État.

Yochai Benkler en fait le constat en analysant les élections récentes aux États-Unis, en Angleterre et en France et en pointant les programmes de Sanders et de Corbyn. On pourra de notre côté y inclure la gauche dite populiste tant dans les pays d’Amérique latine (Bolivie, Équateur, Venezuela) que dans certains pays d’Europe (l’Espagne de Podemos et la France de France insoumise). Cela rejoint l’analyse de Dardot et Laval sur la contribution de la gauche dans l’édification du néolibéralisme en système (p177).

Le néolibéralisme renaîtrait donc une fois de plus de ses cendres par un néo-technocratisme ou, dans les termes de Benkler, un « technolibertarianisme » soustrait à tout contrôle démocratique. Il semblerait donc que le TINA (« There is no alternative ») de Margaret Thatcher reste encore bien vivant, que les parcs d’attractions du GAFA-world vont se multiplier et qu’ il nous faut prendre au sérieux la candidature de Zuckerberg président de Facebook à la pérsidence des États-Unis. On serait donc loin de se réveiller de « ce cauchemar qui n’en finit pas ».

2- Il existe cependant des quantités d’alternatives (There Are Plenty of Alternatives).

Comme nouvel imaginaire, autant que par la diversité des acteurs, des motivations, des pratiques et des institutions qu’ils mettent en œuvre, les Communs sont « la seule alternative cohérente ». C’est ce qu’affirme Yochai Benkler qui rejoint par là aussi le diagnostic de Bollier et Helfrich . Ce même diagnostic se voit renforcé par Dardot et Laval qui, en posant le Commun comme un « principe politique », affirment que le XXIème siècle sera celui des communs.

3- Nous vivons le moment historique de la « transition » vers une société des communs, transition dans laquelle il faut refonder une démocratie radicale et bâtir une économie collaborative des communs.

Il faut pour cela inventer « une autre manière de faire de la politique » qui doit tout à la fois occuper les institutions et favoriser l’auto-organisation et la participation des mouvements sociaux, des organisations et initiatives citoyennes. Ce nouveau partenariat public/communs permettra de co-produire des politiques, de transformer les institutions et créer les conditions pour que se mette en place une économie collaborative des communs.

4- Tout est pourtant à inventer et, pour affronter la complexité et l’incertitude, le mouvement des communs doit miser sur sa diversité et expérimenter dès maintenant et dans la durée.

Pluralité, diversité, expérimentation, proximité et nouveau rapport au temps sont les mots clés de la transition vers une société des communs tant en économie que dans l’espace politique.

5- Une démocratie radicale est à inventer et elle ne peut se faire ou du moins s’initier qu’au niveau local et en partant de la proximité

S’il faut refonder la démocratie ce n’est pas sur les ruines des institutions étatiques aujourd’hui néo-libéralisées. « Il faut démocratiser ce qui est démocratisable » ressortait dans la conversation de Christian Laval et Marina Garces.

La proximité est au centre du paradigme des communs et d’une autre manière de faire de la politique. Partir du local questionne l’approche historique des gauches qui préconise la conquête de l’état. Cette vision stratégique et sa mise en pratique ont une résonance politique toute particulière en Espagne où elle divise la « gauche de la gauche ». Au congrès fondateur de Podemos en 2014, Pablo Iglesias avait utilisé l’expression « Asaltar los cielos » (« À l’assaut des cieux ») pour signifier la volonté du nouveau parti de prendre le pouvoir à son plus niveau, celui de l’état national. Les partisans des communs et du nouveau municipalisme des communs préfèrent dire « Asaltar los suelos » (« À l’assaut des sols »(p159) À l’assaut de chaque rue, place, territoire urbain … et au delà même des villes.

Élu de la ville de A Coruña, Iago Martinez nous parlait des « tranchées de la proximité » pour se défendre des assauts du néolibéralisme avec ses mesures d’austérité et son déficit démocratique et à partir desquelles reconquérir dignité et droits pour contribuer à la construction des communs.

6- Le “nouveau municipalisme” ou “municipalime des communs” se propose de réinventer la démocratie en partant du local.

Hérité du municipalisme libertaire, c’est sous cette bannière que se sont regroupés les élus et activistes des Villes sans Peur. Appelé selon les contextes socio-historiques mutualisme, comunalisme, municipalisme, municipalisme libertaire, fédéralisme démocratique, le nouveau municipalisme a été théorisé et remis à l’ordre du jour par Murray Bookchin au milieu du XXème siècle qui crée l’écologie sociale. « Il se fonde sur la tradition et les pratiques libertaires d’auto-gouvernement, de décentralisation, de fédéralisme, de coopération, de durabilité et d’équité. » (Territorios en democracia, pp. 19 et 49).

Les témoignages des différents représentants des villes sans peur de toutes les latitudes ont montré la variété des traditions et pratiques d’auto-organisation dans des villes qui souvent, tout comme c’est le cas pour les « communs », faisaient du municipalisme sans lui en donner le nom.

Il était intéressant et émouvant d’entendre Jorge Sharp, issu du mouvement étudiant et récemment élu maire de Valparaiso au Chili se réclamer dans sa pratique municipaliste de Recabarren considéré comme l’un des pères du mouvement ouvrier chilien au début du XXème siècle. Tout aussi intéressants étaient les témoignages de la vivacité actuelle du municipalime aux États-Unis en Pologne sans oublier bien sûr la région de Rojava déjà mieux connue.

Selon Ismael Blanco et Ricard Goma, « Le municipalisme du bien commun veut explorer un nouveau champ d’interactions entre pratiques citoyennes et innovations institutionnelles, entre politiques publiques d’un nouveau type et les processus de base. C’est aussi un engagement à faire du local le cadre concret des processus sociopolitiques qui feront la transition [vers l’ère post-néolibérale] à partir des valeurs de démocratie, coopération, égalité, autonomie, écologie et solidarité ».

Laura Roth et Kate Shea Bird membres de Barcelona en Comù et organisatrices de la conférence, en précisent les différentes caractéristiques en se basant sur les récentes expériences espagnoles.

« Le municipalisme, tel que nous le comprenons, est défini par un ensemble de caractéristiques connexes.

Premièrement, par la construction d’une organisation politique distincte qui reflète la diversité du paysage politique local et répond aux problèmes et aux situations locales.

Deuxièmement, par des processus décisionnels ouverts et participatifs qui reflètent l’intelligence collective de la communauté.

Troisièmement, par une structure organisationnelle relativement horizontale (par exemple, fondée sur des assemblées de quartier) et qui guide le travail des élus.

Quatrièmement, par une tension créative entre les personnes à l’intérieur et à l’extérieur des institutions locales: le municipalisme comprend que la capacité d’action institutionnelle dépend de mouvements forts et organisés dans les rues qui font pression sur les dirigeants élus.

Enfin, le municipalisme cherche un rôle pour les institutions locales qui va au-delà de celui du plus bas échelon de l’échelle de gouvernement – il veut qu’elles deviennent des mécanismes d’auto-gouvernance. Compris de cette façon, le municipalisme n’est pas seulement une affaire des grandes villes. Le mouvement peut et joue un rôle important dans les petites villes, les districts, les quartiers et les zones rurales. »

Selon ces auteurs, le projet municipaliste a des ambitions qui dépassent le niveau local qui, même si il en est la pièce maitresse, ne constitue qu’une étape pour refonder la démocratie et construire la justice sociale et écologique au niveau global.

7- Féminiser la politique : « Le XXIème siècle sera celui des femmes et des villes »

C’est Ada Colau, maire de Barcelone, qui le dit lors d’une conversation très émouvante et instructive avec Manuela Carmena la maire de Madrid lors du lancement public de la rencontre Fearless Cities. Bien placée pour en parler, Ada Colau qui vient de donner naissance à son deuxième enfant il y a un peu plus d’un mois, a été suivie sur l’estrade de la Plaza dels Angels par des élues et activistes représentantes de villes en provenance de 40 pays dont une majorité de femmes : Rosario (Argentine), Belo-Horizonte (Brésil), Philadelphie (USA), Vancouver (Canada), Rojava (Kurdistan), Varsovie (Pologne), et près de 175 autres qui se déclarent villes sans peur et mettent en place cette autre manière de faire de la politique. L’actualité récente tend aussi à lui donner raison quand on voit les mobilisations des femmes contre Trump aux États-unis, celle des polonaises ou celles de Rojava du Kurdistan.

Mais si il est question de féminisme, il prend ici une tournure radicale. Comme on le débattra dans la suite de la rencontre, il s’agit avant tout de féminisation de la politique qui, selon Laura Roth et Kate Shea Bird, signifie trois choses :

« D’abord, l’égalité de genre dans la représentation au sein des institutions et dans la participation à la chose publique. Ensuite, un engagement à développer des politiques publiques qui mettent en question les rôles de genre et visent à éliminer le patriarcat. Enfin, une manière différente de faire la politique, enracinée dans des valeurs et des pratiques qui priorisent la vie quotidienne, les relations sociales, le rôle de la communauté et le bien commun. »

Selon ces auteures, la radicalité de cette féminisation questionne autant le populisme de gauche que le féminisme lui même. (Le rôle et les valeurs attribués aux femmes serait, selon certains courants féministes, une construction sociale des hommes et fait donc partie des valeurs du patriarcat).

La féminisation de la politique est un nouveau mème qui est de plus en plus partagé et promu par les élus hommes et fait maintenant partie du vocabulaire des communs. Dans son intervention lors de l’inauguration des Villes sans peur, Ada Colau disait « Si nous féminisons la politique, nous allons tous et toutes y gagner ». Gerard Pisarello, le vice maire de Barcelone, ajoutait pour sa part « Nous sommes fiers des femmes qui transforment la politique de nos villes. L’unique manière de les rendre viables et de repenser nos politiques à travers le regard des femmes ».

Pisarello était l’un des panélistes de la plénière d’ouverture de la rencontre « Fearless Cities » qui avait pour thème « Nouveau municipalisme et féminisation de la politique » et dont le panel de quatre personnes était paritaire femmes/hommes.

Dans la pratique cependant, la féminisation de la politique est loin d’être une réalité et semble être l’un des défis difficiles des communs.

On sait qu’il y a encore du chemin à faire pour atteindre la parité qui est la première des revendications. Même dans les pays dits du nord démocratique, si je prends l’exemple du Québec, la parité est loin d’être un acquis à tous les paliers de gouvernement.

Certains pourraient s’étonner que la nouvelle économie branchée de Silicon Valley et consorts fasse de la discrimination envers les femmes. C’est pourtant le cas si on en croit les dernières révélations faisant état de l’existence d’un manifeste anti-diversité chez Google.C’est aussi le cas d’Uber selon Susan Fowler qui y a exercé longtemps. Sans atteindre ces excès, la difficulté du passage à l’échelle de la féminisation se note aussi dans les expériences les plus iconiques de communs. C’est le cas de Wikipedia qui le constate et le déplore sans encore arriver à le corriger.

L’économie sociale et solidaire n’y échappe pas non plus. Des études terrain de pratiques d’économie sociale et solidaire en milieu rural en Équateur démontrent aussi que, loin de féminiser les rapports et la manière de faire la politique, les modes d’organisation collaboratives dans le travail et les prises de décisions rajouteraient plutôt une troisième charge aux femmes selon une étude très documentée de Jhonny Jimenez : « Ainsi apparaît une triple charge de travail pour les femmes : la première en relation avec les travaux de reproduction, la seconde avec les travaux de production et la troisième avec la participation dans les processus organisatifs et communautaires ». Pour l’auteure, la féminisation de la politique consisterait aussi à construire de « nouvelles formes de masculinité ». À suivre.

8- Co-construire un « écosystème public/communs » qui s’oppose au « bloc oligarchique néo-libéral » en instituant des passerelles, outils et méthodologies entre les différents acteurs sociaux pour permettre la co-production de politiques.

Tel que défini par Dardot et Laval, ce bloc oligarchique regroupe quatre composantes principales : les dirigeants des gouvernements et hauts cadres de l’administration, les propriétaires du capital et les propriétaires et managers des grandes corporations, les dirigeants des médias et, enfin, les universitaires.

Un écosystème public/communs inclurait les différents acteurs sociaux selon ce que Christian Iaione appelle en prenant l‘exemple devenu iconique de Bologne une quintuple hélice pour la gouvernance en commun des villes qui regroupe le public, le privé, les universités (et médias) (knowledge), les organisations de la société civile et les communs avec ses organisations, pratiques et institutions. L’important pour Iaione est de faire des communs un acteur à part entière.

L’écosystème public/communs de Barcelone tel que présenté par Mayo Fuster suit ce modèle des cinq acteurs mais est plus précis dans l’institutionalisation de passerelles entre les différents acteurs. Dans une entrevue à l’occasion de la rencontre Procomuns 2017, Fuster parle d’un écosystème de co-création de politiques qui s’articule sur plusieurs niveaux :

  1. Barcola (Barcelona colabora) qui est un groupe de travail entre la mairie de Barcelone et 50 représentants d’entités de l’Économie du procomun (dans différents secteurs : technologie, levée de fonds, économie solidaire, etc) et quatre universités de Catalogne qui gèrent quatre projets de recherche financés par l’ Europe dont les finalités et méthodologies sont décidées par le groupe.

  2. Procomuns une rencontre annuelle qui se définit comme « un événement-action ». « Nous utilisons des méthodologies de co-création pour élaborer de nouvelles propositions de politiques publiques appropriées à la mise en place d’une économie collaborative des communs ». Procomuns fait des propositions aux différents paliers de gouvernement et à la Commission Européenne sur les politiques urbaines et l’économie collaborative. Selon Fuster, Procomuns est aussi un « meetlab » ouvert de plateformes (« platform meetlab ») sur des thèmes et problématiques qui ont émergé au cours de l’année. C’est aussi l’occasion de créer et tester des outils et méthodologies qui facilitent le rapprochement et la collaboration entre les institutions et les nouveaux entrepreneurs des communs. Ce peut être des outils de localisation comme Pamapam ou des outils d’évaluation des pratiques d’économie collaborative comme l’ « Étoile d’évaluation de qualité des communs ». En 2016, Procomuns avait fait 120 propositions à l’administration de Barcelone ainsi que des recommandations à l’Europe.

  3. Decidim Barcelona une plateforme participative en ligne qui facilite le design collaboratif de propositions et politiques avec les citoyens. L’année passée les les 120 propositions de Procomuns ont été discutées sur le site. À noter que la plateforme Decidim Barcelona est elle même l’objet d’un re-design ouvert et permanent invitant les partenaires et citoyens à préciser les thèmes et méthodologies des consultations. La réforme en cours des règlements de participation de la Ville (voir infra) utilisent cette plateforme.

  4. Une commission interdépartementale au sein de la mairie pour aider à articuler et coordonner les différents thèmes et enjeux de la politique urbaine : par ex. mobilité et transport, bibliothèques, emploi parce que, selon Fuster, « le thème de l’économie collaborative est très transversal et touche beaucoup de secteurs de l’administration ».

D’autres initiatives qui contribuent à cet écosystème mériteraient aussi d’être citées comme la Teixedora (le métier à tisser) qui, encore en phase pilote, se veut un projet participatif pour partager la documentation et interconnecter les débats et thématiques qui se donnent sur différentes plateformes en créant pour ce faire des outils ett des méthodologies de travail.

9- La construction d’une véritable économie collaborative des communs féministe et écologique s’oppose à la « nouvelle » économie de partage dite « collaborative » des grandes corporations du style Uber, Airbnb et consorts.

 Face au capitalisme des plateformes des GAFA s’érige un coopérativisme en plateformes qui se fonde sur l’économie pair à pair des communs (« Commons-based P2P Economy »). Le coopérativisme en plateformes est en train de constituer un écosystème coopératif qui contribue à inventer une économie circulaire des communs et à mettre en réseau les différents modèles économiques de communs. Pour plus de détails sur le modèle écosystémique et la relation avec l’état « partenaire », on se référera à Dimmons, membre barcelonais de la Plateforme P2P Value , aux écrits de Trebor Sholz et Nathan Schneider tous deux très présents à Barcelone et, last but not least, à la P2P Foundation et aux principales thèses et propositions de de Michel Bauwens et Kostakis.

10- Créer les conditions pour que se développe une nouvelle culture des communs.

Les valeurs et institutions du néo-libéralisme basés sur l’individualisme, la compétition et une démocratie qui, quand elle n’est pas simplement confisquée, est dénaturée par des formes édulcorées de consultation et de « participation » ont imprégné pendant des décennies les habitus individuels et collectifs.

Malgré son ancrage dans l’histoire sous toutes latitudes et malgré ses réalisations modernes souvent spectaculaires, le « faire ensemble » des communs qui se fonde sur le partage et la collaboration a encore du chemin à faire pour entrer dans les mentalités. La participation citoyenne dans la co-construction d’institutions et de politiques n’est pas évidente pour des citoyens habitués à attendre et exiger de l’état social qu’il réponde ou subvienne à ses besoins.

Dans une ville comme Barcelone, les valeurs du nouveau municipalisme se heurtent d’une part aux partisans (de droite comme de gauche) des vieilles politiques de l’état-providence et d’autre part à ceux qui prônent et pratiquent déjà dans les quartiers l’auto-gouvernement dans la tradition libertaire dont la ville a été un modèle au cours de l’histoire récente.

La démocratie active que signifie la participation des citoyens au design et à la prise de décision de politiques est à construire. « Sans participation directe et sans vécu de nouvelles formes de relations sociales, il n’y aura pas de changements sociaux déterminants et capables de perdurer » peut on lire dans Rebeldias en comùn sous la plume de Gonzales Reyes et Bellver (p205). Joan Subirats de son côté fait appel « à ce que tout le monde se sente co-responsable de ce qui se passe dans la communauté » (p114).

Ces auteurs s’entendent avec de nombreux autres sur le fait que le « citoyen-commoner » se réalise comme sujet (se « subjective ») dans le faire en-commun et qu’il en est transformé en tant que personne. Comme le disent plusieurs auteurs, ce caractère transformateur de l’individu aux institutions fait que les communs sont « alteratifs » plutôt que simplement alternatifs .

C’est donc une véritable révolution culturelle que le municipalisme des communs doit entreprendre par l’institutionalisation progressive de pratiques de démocratie directe et de différents modes d’ éducation et auto-éducation. À Barcelone une diversité d’acteurs multiplient les initiatives.

Au plan institutionnel, le département de la participation et démocratie active de la mairie de Barcelone a mis en place un processus participatif ouvert sur une durée de 18 mois pour poduire les nouvelles « normes de participation citoyenne » qui seront soumises au vote du gouvernement municipal à la fin septembre 2017. La discussion du nouveau règlement partait des normes antérieures de la municipalité datant de 2002. Les nouvelles définitions et les nouveaux processus introduits traduisent les valeurs du nouveau municipalisme . On notera par exemple celle de coproduction qui vient s’ajouter à la définition révisée de diagnostic participatif déjà pratiquée par les administrations sociales démocrates antérieures. La question et mécanismes des référendums populaires y trouve aussi un place importante.

Dans une entrevue donnée à l’occasion du séminaire « Participacion democratica » Fernando Pindado commissaire à la participation et démocratie active à la mairie de Barcelone nous disait que la différence avec les normes antérieures est que « nous avons essayé de faire correspondre les normes à la réalité sociale ……nous avons défini que le moteur de la participation n’est pas l’institution mais bien les initiatives citoyennes ». Pindado reconnait les difficultés de communication et d’application de ce nouveau règlement de 114 articles qui restera cependant ouvert à la discussion et propositions sur le site Decidim-Barcelona.

Sur le plan éducation/formation plusieurs instances institutionnelles créent des espaces d’apprentissage et partage de connaissances ouverts qui se veulent de véritables écoles de communs.

La Comuna, impulsée par Barcelona en Commun se définit comme « École du Commun, espace de reflexion, d’apprentissage et d’empowerment collectif. Une école qui veut débattre avec les citoyens sur le modèle de ville que nous voulons, sur les biens communs et les stratégies pour transformer Barcelone. Un espace pour proposer des outils aux personnes militant dans les quartiers qui veulent contribuer au mouvement municipaliste et à la défense des droits humains et sociaux. » Les responsables des différents départements de la mairie sont présents aux côtés de commoners et d’unversitaires dans les différents ateliers et espaces de débats.

D’autres initiatives venant de la municipalité comme Municilab créent des ateliers de style laboratoires dans les districts en fonction de la dynamique initiée par les citoyens. De pareils laboratoires sont fréquents aussi à Madrid.

Les universités offrent aussi des cours sur les communs comme c’est le cas de Barcelona’gov un réseau de centres de recherche et de formation spécialisée sur les questions de gouvernance et de politiques publiques de Barcelone. Le consortium de la plateforme de cooperativisme a aussi comme composante une école des communs.

Les avancées de la mairie de Barcelone dans la création de réseaux de garderies municipales; les réseaux citoyens de résistance aux lois sur l’éducation par le réseau d’écoles insoumises ; la floraison d’écoles libres ou alternatives gérées par les citoyens, sont autant d’initiatives qui montrent que la question de l’éducation est considérée centrale pour bâtir une nouvelle culture des communs et qu’elle doit être posée en termes politiques pour contrer ce que Christian Laval appelle « l’assaut du néolibéralisme à l’enseignement public ».

Ces pratiques souvent inspirées par les diverses traditions d’éducation populaire autonome et éducation tout au long de la vie sont amenées à questionner le système d’enseignement. Il reste cependant que ces nouveaux modes d’éducation, si ils veulent correspondre aux valeurs et au paradigme des communs du faire en-commun devraient revisiter le rapport entre l’Apprendre et de l’Agir en questionnant autant les acteurs et leur rôle que le contenu, la pédagogie, les temps, lieux et institutions des partages des savoirs.

Signalons ici l’exemple du Québec où les objectifs et pratiques bien implantés de l’éducation populaire autonome et ceux de l‘éducation des adultes vont dans ce sens et rejoignent ainsi les réseaux internationaux progressistes d’éducation populaire qui ont déjà une longue histoire et se démarquent de certaines approches institutionnelles comme le récent Manifesto for Adult Learning in the 21th Century européen. Venant des organisations citoyennes les rencontres sur l’Art de l’en commun (« Art of Commoning ») utilisent des espaces et méthodologies participatives propres au « faire en-commun. »

11 – Bâtir un nouveau cosmopolitisme des communs en fédérant les actions des différents commoners et institutions de communs.

 Les villes d’Espagne sont déjà regroupées au niveau national pour s’opposer à la Loi Montoro qui, au nom de l’austérité, reporte le poids du service de la dette nationale sur les villes en limitant leurs dépenses aux dépens, bien entendu, des services publics. Ce front municipaliste national a produit Le manifeste d ‘Oviedo signé par 700 élus politiques dont 40 maires en octobre 2016 Début juin 2017, quelques jours avant la rencontre des Villes sans peur ce nouveau front municipaliste réunissait de nouveau à Cadix près de 77 municipalités.

De leur côté les villes qui se réclament du nouveau municipalisme sont connectées et se concertent sur une base régulière à travers des rencontres MAC (Muncipalismo, Autogobierno y Contrapoder). La conférence des Villes sans peur du mois de juin était une nouvelle occasion de se rencontrer cette fois au plan trans-local et d’initier un réseau global. Selon les organisateurs de la rencontre en effet, le nouveau municipalisme ne peut être qu’internationaliste et c’est avec l’ objectif avoué de « construire des réseaux globaux de solidarité et d’espoir face à la haine,aux murs et frontières » que s’est déroulée la rencontre.

C’est aussi sur cette note que Debbie Bookchin (la fille de Murray Bookchin) l’une des panélistes a conclu son intervention «Si nous voulons sortir de la spirale de la mort que des décennies de néolibéralisme nous ont imposée… nous devons créer un réseau mondial de villes et de villages sans peur. Nous ne méritons rien de moins. »

Les échanges se multiplient entre les villes « rebelles » ou « sans peur » au delà des frontières nationales. Des actions communes sont en cours sur la question des réfugiés, de l’eau, du changement climatique, des transports, etc. sans passer par les structures étatiques nationales et allant le plus souvent à l’encontre de leurs politiques comme c’est le cas à Barcelone sur la question des réfugiés. Le programme « de Ville à ville » mis sur pieds par le plan “Barcelona,ville refuge” établit une coopération directe entre villes les plus directement touchées par l’afflux de réfugiés en transit que sont Athènes et Lesbos en Grèce et Lampedusa en Italie.

Il est important de noter ici que ce nouveau cosmopolitisme qui se met en place se démarque radicalement des projets cosmopolites qui ont émaillé l’histoire. La citoyenneté globale dont il est question n’est pas trans-nationale et elle ne consiste pas non plus à créer de nouvelles institutions ou des réseaux mondiaux ou régionaux. Elle §n’est pas non plus basée sur les droits comme le propose par exemple le cosmopolitanisme de David Held.

Ce nouveau cosmopolitisme relève du paradigme des communs et se définit dans le « faire en-commun» par l’ échange et la fédération de pratiques.autant que d’actions et prises de position communes. Ces actions en commun des villes réfèrent plutôt au concept de « citoyenneté politique non étatique et non nationale » prôné par Dardot et Laval (pp567-568)

En guise de conclusion: L’ère du communocène est-elle commencée?

Ce glanage de propostions des promoteurs et acteurs des communs réunis à Barcelone fait un portrait de l’ écosystème des communs en date de juin 2017. Étant elle-même laboratoire et fabrique de communs où ces expérimentations et co-créations public-commun se vivent au jour le jour dans un sain et constant questionnement avec les mouvements sociaux, la municipalité de Barcelone, par sa présence active à toutes ces rencontres donnait le ton aux débats et discussions.

On ne peut qu’être impressionné par la richesse des échanges de savoirs et de pratiques aussi divers que les acteurs, leurs provenances et leurs motivations. On note aussi chez les commoners la conscience de vivre un processus continu d’experimentations et de créations instituantes visant à transformer en profondeur les institutions existantes et (ré)inventer un « vivre en-commun » qui va bien au delà d’un simple « vivre ensemble ». Nul ne prétend avoir de réponse à tout et surtout pas de réponse immédiate. Il s’agit plutôt d’ un prototypage permanent fait d’essais et erreurs qui s’inscrit dans la durée. On est loin du grand soir et de la prise du Palais d’hiver.

Par contre, le premier sommet international du nouveau municipalisme en appelant à la fédération des pratiques et des propositions d’actions communes à partir du local évoque une vision stratégique pour un passage à l’échelle. Il préfigure aussi un nouveau cosmopolitisme des communs qui fait primer le trans-localisme sur l’inter-nationalisme.

Cet état des lieux nous fait mesurer l’évolution fulgurante des communs aux plans théorique et empirique dans les dix dernières années. Aux colloques d’universitaires et aux rencontres qui ont suivi entre théoriciens et praticiens organisées à Belem au cours du FSM de 2009 puis à Berlin par le Commons Strategy Group et la Fondation Heinrich Boell en 2010 et 2013 puis à toutes les rencontres et autres « festivals » sur les communs, rares étaient ceux qui auraient pu prédire le passage de la « défense et récupération des biens communs » au « principe politique » qu’est devenu le commun et son entrée dans les institutions avec le projet de les transformer dans un horizon post-capitaliste.

Ce portrait d’un « mouvement » qui propose rien de moins qu’une alternative systémique au néolibéralisme et au capitalisme reste bien évidemment incomplet. Les rencontres ne pouvaient rendre compte de l’immense production de connaissances et enquêtes terrains sur les pratiques de communs en chantier en Catalogne. On pense par exemple à l’importance cruciale du Mouvement de la Culture Libre et de la place et usage des nouvelles technologies dans la conception même puis les pratiques d’une « nouvelle manière de faire de la politique » et la « co-production de politiques publiques ». Comme le rappellent Mayo Fuster et Joan Subirats dans le chapitre conclusif de « Procomun digital et culture libre, Hacia un cambio de época? » (Les communs numériques et la culture libre, Vers un changement d’époque?), Barcelona en Commun est né dans la mouvance de la culture libre qui avait joué un rôle déterminant dans le 15M et ses suivis dans l’arène politique.

On pense aussi aux questions et débats que Catalunya en Comù a introduits concernant le passage à l’échelle des communs sur la scène de la comunauté autonome catalane. De création trop récente (mai 2017) ces nouvelles propositonsi n’ont pas donné lieu à discussions. On pense ici en particulier à la redéfinition de la souveraineté dans une logique de commun et sa nécessaire conjugaison au pluriel (alimentaire, énergétique, numérique, technologique, politique) developpée dans le chapitre 9 de son Programme politique et que Joan Subirats résume ainsi : « Exactement, c’est au pluriel, en minuscule et au pluriel: les souverainetés. … Nous voulons récupérer la capacité collective de décider de ce qui nous affecte. Donc c’est bien de parler de la souveraineté de la Catalogne, mais il faut aussi parler de la souveraineté numérique, de la souveraineté de l’eau, de la souveraineté énergétique, de la souveraineté du logement. Nous n’avons donc pas à attendre jusqu’à ce que nous ayons la souveraineté catalane pour nous attaquer à tout cela. »

Finalement, cet état des lieux montre aussi les limites et angles morts du mouvement dont certains ont été identifiés comme on l’a vu pour la féminisation et comme on a pu le noter sur la dimension écologique peu présente dans des débats . On pourrait dire aussi que, dans l’enthousiasme du « faire en-commun », le mouvement des communs péche peut être par un excès de confiance et donne peu de priorité au nécessaire processus de convergence avec d’autres propositions alternatives. Comme nous le disait l’ancien membre du gouvernement Bolivien Pablo Solon dans une entrevue à l’occasion du dernier Forum Social Mondial, les communs ne sont qu’une des pièces du puzzle d’une alternative systémique au côté du «buen vivir », de la décroissance, de l’ écoféminisme, de l’ écosocialisme. Encore, précise Solon dans un livre récent, faut-il choisir le sens « rebelle » du buen vivir et non ce qu’il est devenu après son institutionalisation par la nouvelle gauche latino américaine en Bolivie et en Équateur. Les avatars du « Buen vivir » dans l’arène politique et sa récupération par les institutions jusqu’à la Banque Mondiale, forcent à penser un horizon stratégique qui va au delà de l’anti-capitalisme. Le « buen vivir » dans sa version originale aujourd’hui « rebelle » impose un anti-anthropocentrisme. Les dérives populistes des gouvernements de gauche en Amérique latine appellent à un anti-extractivisme, un anti-productivisme et un anti-patriarcat.

À l’heure du « commons washing » sous toutes les latitudes, le mouvement des communs devrait tirer les leçons de ce passé récent et s’attacher à inscrire son alternative en complémentarité avec les autres « utopies réelles » alter-systémiques.

Épilogue :

La veille de la déclaration très attendue du président de la Generalitat Carles Puigdemont devant le parlement catalan, la maire de Barcelone Ada Colau s’est prononcée le 9 octobre sur la suite à donner au référendum du 1-O. Selon elle, « les résultats ouvrent la porte au dialogue sans conditions et à la médiation internationale et à avancer vers de nouveaux scénarios d’auto-gouvernement ». Cette proposition suit en toute continuité les prises de positions de Barcelona en Comù et de Catalunya en Comù qui , tout en se prononçant contre le référendum, avaient appelé à une mobilisation citoyenne le 1er Octobre sans donner aucune consigne de vote. La mairie avait mis à disposition des édifices publics pour le vote et créé des centres de secours et d’appui psychologique pendant les manifestations. Finalement, la mairie et Barcelona en Comù ont repris leurs activités avant même la déclaration du parlement du 10 octobre. Les nouvelles normes de participation citoyenne de la municipalité ont été votées le 6 octobre alors que La Comuna, l’école des Communs, tenait un colloque Municilab ouvert au public sur le thème « Droits, libertés, souverainetés » du 7 au 9 octobre ouvert par un débat entre Ada Colau ,Susan Georges et Yayo Herrero.

Cataunya en Comù de son côté continue ses rencontres publiques en appelant le 17 octobre à un débat sur le thème « Erradiquons la pauvreté, construisons en commun une Catalogne plus égalitaire ». La convocation commence par la phrase « La Catalogne est l’un des pays où les inégalités ont augmenté le plus ces dernières années ». Autrement dit, on met la souveraineté au pluriel et on n’oublie pas de s’attaquer aux autres questions du jour.

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